LES ANCIENS
CONTRE LES MODERNES
On distingue classiquement deux formes de capoeira:
– la capoeira Angola qui est réputée fidèle à la forme originale de la pratique (et codifiée par Mestre Pastinha),
– la capoeira Régionale qui initié par Mestre Bimba au début du XXème siècle et qui intègre des mouvements martiaux d’autres pratiques (karaté, jujitsu, etc…).
Prohibée depuis la proclamation de la République, la capoeira sort de la marginalité, grâce à la création d’un nouveau style, la lutte régionale bahianaise, appelée plus tard la capoeira régionale. Conçue par Maître Bimba dans les années trente, cette capoeira va commencer à se distancier fortement de ses origines. Elle absorbe les mouvements de divers arts martiaux, notamment le jiu-jitsu, le judo, le batuque (une autre danse-combat d’origine africaine disparue) et même la savate. L’adoption d’un cadre académique structuré lui ouvre les portes de la société blanche et rencontre un succès inespéré auprès des classes sociales les plus aisées, un milieu qui cherchait à valoriser ses origines européennes plutôt qu’africaines ou autochtones. Pour garantir son avenir, Bimba a en effet débarrassé la capoeira de ses caractéristiques marginales. Ainsi, il va exiger de ses adeptes un certificat de travail pour éloigner les « voyous » et faire la promotion de l’éducation d’hommes « biens ».
Les réformes stylistiques apportées par la regional sont précises :
– les mouvements deviennent géométriques,
– l’esthétisme et lefficacité deviennent des buts,
– les gestes rectilignes remplacent les mouvements sinueux et nuancés de l’ancienne capoeira.
Les jeux sont plus rapides et assortis d’acrobaties. La verticalisation de la posture évoque la posture du dominant, la posture de l’homme civilisé vêtu de blanc tandis que l’expression de la capoeira primitive revendique la force tellurique, l’enracinement, la partie justement animale, avec des mouvements à ras du sol enchaîné avec une certaine lascivité jugée « nocive » et une théâtralité noire qui dérange. L’atabaque (tambour) symbole de la culture africaine a presque disparu, s’effaçant devant le Berimbau. Les noms des coups ont été changés par des noms plus « rationnels », tels que meia lua de compasso (demi-lune de compas) anciennement appelé rabo de arraia (queue de raie.) Le baptême ainsi que les graduations ont été introduits : des signes reconnus par l’élite. Toutes ces mutations font partie d’une logique de renouveau, « d’évolution » : donner une nouvelle peau, un nouvel habillage pour que la capoeira puisse accéder au monde des Blancs.
Son intégration dans un cadre académique structuré lui ouvre les portes de la société blanche et elle rencontre un succès inespéré auprès des classes sociales les plus aisées, un milieu qui cherchait à valoriser ses origines strictement brésiliennes plutôt qu’africaines. Cette démarche est encouragée par la politique du gouvernement. Elle est traduite dans les thèses anthropologiques de l’époque qui justifiaent le « retard » du Brésil par rapports aux nations industrielles européennes et américaines par le degré avancé de métissage du peuple brésilien. En 1937, Maître Bimba parvient à faire une démonstration publique devant le président Getulio Vargas. Ce dernier, après son coup d’État en 1930, mène une politique ultranationaliste – Estado Novo – et a même coopéré avec Hitler et Mussolini dans des épisodes sombres et peu connus de l’histoire brésilienne. Ce président voit dans la capoeira la possibilité de faire la promotion d’un art martial national. Cette ancienne pratique de vagabondos va devenir un sport national et un jeu d’athlètes. Alors que les combats de vale tudo commencent à accaparer les manchettes des journaux, Bimba, qui avait déjà combattu et gagné tous ces combats, prépare ses disciples à monter sur les rings. Aseptisée, « blanchie », apprivoisée, la capoeira devient « propre » à la consommation.
Le conflit générationnel entre l’Angola et la Régional prend naissance.
Les nouveautés introduites par Mestre Bimba ringardisent les partisans de la « vieille capoeira », celle issue de la marginalité et transmise par les nègres dans les arrières cours des quartiers pauvres. Cette dernière est littéralement étouffée par ce foudroyant essor de la régionale qui se répand à l’internationale. Elle finit par réagir. Maître Pastinha, revient au-devant de la scène en 1940. Doté d’une profonde sagesse et d’un charisme exceptionnel, il focalise l’intérêt de tous ses vieux compagnons : Amorsinho, Cobrinha Verde, Waldemar, Aberrê, Tiburço, Traira, Caiçara, Gato Preto, Noronha, Juvenal, Canjiquinha et Totonho de Maréentre autres.
Il organise à son tour la capoeira angola, c’est d’ailleurs à cette période que ce label naîtra pour distinguer les deux styles. Il fonde la première académie de Capoeira Angola. D’une part, il institue l’uniforme pour les entraînements et les exhibitions copiant la régionale. D’autre part, il fait des recherches autour de l’expression musicale (la bateria) pour enrichir le bagage culturel et réagir face à l’affirmation des valeurs athlétiques qui caractérise la régionale. Il fait la promotion d’une philosophie alternative, ancrée dans la culture africaine et le souvenir de la résistance face à l’oppression de l’esclavage et de la pauvreté, avec un discours à la fois politique et poétique. Il écrit un livre et initie une nouvelle génération de maîtres : João Grande, João Pequeno, Curio, Boca Rica, Bola Sete, Gildo Alfinete et plus tard Moraes, qui a fréquenté l’académie de Pastinha mais est disciple de Joao Grande.
Cette « Contre réfome » reçoit le soutien de l’intelligentsia bahianaise de gauche : les artistes plasticiens Mario Cravo et Carybé,le photographe ethnologue français Pierre Verger et surtout l’écrivain Jorge Amado sous la plume duquel le personnage de capoeiriste abandonne sa tenue de marginal pour celle du héros. La soudaine résurrection de la Capoeira primitive va également inspirer la musique bahianaise du mouvement Tropicalia avec Gilberto Gil et Caetano Veloso. Elle a aussi influencé la Bossa-nova à Rio, avec João Gilberto, Baden Powell, Vinicius de Morais et le maestro Tom Jobim, lui-même disciple du vieux Maître Sinhosinho dans les années trente.
Un discours politique contestataire s’articule, associant la capoeira Angola et la revendication de reconnaissance du patrimoine culturelle africain. Alors que les régionalistes affirment le caractère strictement brésilien de la capoeira les Angola se tournent vers l’héritages africain et l’Angola pour en faire le berceau originel de la pratique (en soulignant les apports du Kibundu à la langue brésilienne).
Dans le même temps, la création de la regional a propulsé la capoeira dans son ensemble vers le monde. Une importante barrière a été franchie. Cette capoeira de Bimba tendait vers une autre direction, une autre esthétisation, que celle de l’angola et ceci, a progressivement entraîné une dynamique assez positive pour tous. Cette polarisation finalement, s’avère complémentaire et riche.